L’extension de la reserve dans l’Histoire

24 avril 2022

L’extension de la reserve dans l’Histoire par Brigitte Leveque & Annie Blanc

1 - La préservation des paysages de Ploumanac’h dès 1897 :

Charles Barré, jeune avocat installé au TGI de Lannion, sa ville natale est l’un des premiers à s’inquiéter du sort réservé aux côtes de notre l i t toral, qu’ il parcourt depuis sa jeunesse.

Suite à la t ransformation du paysage en quelques années, il devient un ardent défenseur de la préservation de la nature.

En septembre 1897 , i l rédige des lettres pour alarmer l’opinion publique dans l’hebdomadaire le Lannionais pour prendre la défense du littoral entre Trébeurden et Perros-Guirec. Il invite la population à réagir contre l ‘ urbanisation à outrance des plus beaux sites par quelques riches propriétaires ou avides spéculateurs. Le paysage se morcelle de plus en plus avec des constructions entourées de hauts murs et prive désormais de la vue magnifique.
Il ne comprend pas que l’administration des Ponts et Chaussées laisse installer tout près du phare sur le domaine maritime des constructions que l’on taille dans les chaos rocheux du site pour bâtir. En août et septembre 1898 , il accuse « l’incurie et la trop grande faiblesse de l ‘ administration », qui ne réagit toujours pas aux nouvelles constructions illégales qui « empêchent la libre circulation de l’entrée du port de Ploumanac’ h jusqu’ au phare sur un parcours de 2 km, l ‘ accès pittoresque est désormais défendu, le touriste ne peut plus longer les f lots comme jadis, tout est pris, tout est accaparé » écrit- il avec dépit.

Pour ce faire il dédie un ouvrage au Touring club de France, association qui promeut le vélocipède. Tout en présentant l’intérêt de venir découvrir la nature, il expose également les problèmes liés à l’avènement du tourisme.

Ecologiste avant l’heure, il dénonce dans son ouvrage, la nature déflorée, le massacre stupide des calculots aux Sept Iles, les récentes interdictions de passage sur le littoral avec ses murs qu’ il qualifie de ronce artificielle.

Avec son ami de l ‘ époque, Charles le Goffic, ils font venir d’ autres d’ amis* à la Clarté chez la mère Aimée, dont quelques personnalités du monde littéraire et artistique comme Anselme Changeur, secrétaire de la revue Protection des sites et paysages Français.

En 1903 , Charles Barré prévoie d’ éditer un guide Touristique qui ne verra jamais le jour car contré par le guide du syndicat d ‘ initiative des plages de Perros, Trégastel, Trébeurden, Lannion crée en 1900 ( édition conçue par les commerçants et promoteurs qui disposent de plus de moyens).

* leur groupe conscient qu’ ils’ avère nécessaire de préserver la richesse du littoral va se rassembler pour créer le syndicat artistique des protections pittoresques de Ploumanach en 1901 . Louis Gastines ( Président), Barré, Le Goffic, des peintres de renoms ( ex : Maurice Denis) joueront un rôle actif. Le but de leur syndicat est d’ acquérir des terrains pour préserver la nature.

2 - La chasse aux Macareux à la fin du 19 è siècle :

Extrait de l ’ exposition de Monsieur Bruno Dubrac, pour les 100 ans de la LPO en 2012 :
Contrairement à une idée t rès répandue, la LPO n’ a pas été créée pour assurer la protection des macareux des 7 – îles mais pour promouvoir la défense de l ’ oiseau en général et celle des oiseaux insectivores en particulier. La protection des macareux des 7 – îles fut néanmoins l ’ une des toutes premières actions remarquables de l ’ association créée six mois plus tôt.

A partir des années 1880 et notamment l’ arrivée du train à Lannion en 1881 , la côte de granit rose voit se développer le tourisme des bains de mer et Perros- Guirec en particulier, devient une station balnéaire à partir de 1885 , lorsque Joseph le Bihan construit le premier Hôtel de la plage à Trestraou. La promotion d’ activités touristiques sur la Côte de granit et au pays des ajoncs se développe et les affiches des Chemins de fer de l ’ ouest affirment que l ’ endroit est idéal pour pratiquer des excursions, découvrir de belles vallées et de belles plages, pêcher la crevette et chasser les oiseaux de mer dont les calculots, perroquets de mer terrant comme des lapins. Cette dernière activité va connaître un succès important et séduire notamment les chasseurs parisiens fortunés en mesure de s’ offrir ces « safaris exotiques ». Ces expéditions qui s’ apparents à de véritables ball- t raps aux macareux ( entres autres oiseaux de mer !) vont prendre un essor considérable jusqu’ au début des années 1900 où quelques personnalités locales commencent à s’ en émouvoir et en particulier le juge Charles Barré, l ’ écrivain Charles le Goffic et René Delestre, alors locataire des 7 – Iles. Les massacres continuent cependant, jusqu’ à ce qu’ en 1911 , le lieutenant Hemery du 48 è d’ infanterie qui se rend à Rouzic le 26 juin, constate que la colonie de macareux de Rouzic est décimée. Il relate ces faits dans le Bulletin de la société des sciences naturelles de l ’ Ouest de décembre 1911 et adresse en juin 1912 une lettre à Louis Bureau qu’ il avait souvent accompagné sur place pour ses études sur les macareux. En effet, pour ses t ravaux d’ études sur les macareux moines, Louis Bureau s’ était rendu aux 7 – îles dès 1876 et il y retourna assez régulièrement jusqu’ au début des années 1900 , période à laquelle il emmena un jeune agronome, féru lui aussi d’ ornithologie et très intéressé par les travaux sur le macareux : Albert Chappelier.

3 - 1 - La création de la réserve ornithologique des Sept-Iles en 1912 :

Extrait de l ’ exposition de Mr Bruno Dubrac, pour les 100 ans de la LPO en 2012 : Louis Bureau alerte Albert Chappelier, secrétaire adjoint de la toute nouvelle LPO créée six mois plus tôt. La Ligue interpellera alors rapidement le préfet des Côtes- du- Nord de l ’ époque qui prendra dès le 28 août 1912 un arrêté sur la chasse dont l ’ article 3 mentionne : « Toutefois, sont interdits en tous temps, d’ une façon absolue, la chasse, la destruction, le transport et la vente des macareux ou Calculots sur le rivage de la mer, ainsi que dans les î les, et notamment dans l ’ î le Rouzic, située en face de Perros-
Guirec »

Extrait de Jean- Yves Monnat, 1970 :

Membre de la Société pour l ‘ étude et la protection de l a nature en Bretagne, puis titulaire au laboratoire de zoologie de l ‘ université de Bretagne occidentale.

Extrait de la revue Penn- ar- bed 61 : Réserves non gérées par la SEPNB, la Réserve Albert Chappelier ( Sept- Iles), 1970 : La notoriété de cet ensemble remonte au début du 19 ème siècle et est essentiellement due à la présence d’ importantes  colonies de Macareux, les plus importantes en fait de Bretagne et de France. C’ est en effet au célèbre naturaliste nantais Louis Bureau que revient le mérite d ‘ en avoir le premier décrit la r ichesse. De son temps, en 1876 , près de 15000 couples de cet oiseau se reproduisaient sur la seule î le Riouzig, la plus riche de l ‘ ensemble. Mais en 1913 i l ne reste plus que quelques centaines de Macareux à la suite de tueries répétées de touristes parisiens : cela justifie la mise en réserve de l ‘ archipel par la Ligue pour la Protection des Oiseaux. Un gardiennage sévère provoque alors le rétablissement des colonies qui, en 1950 , atteignent le chiffre respectable de 7000 couples. Malheureusement depuis cette date et malgré une protection efficace, les Macareux se raréfient : i l n’ en reste que 2500 couples en 1966 et, l ‘ année suivante, la « marée- noire » fera tomber la population à 400 couples. Même avec ce chiffre, Riouzig reste le principal l ieu de nidification du Macareux en France. Autre célébrité des Sept- Iles, le Fou de Bassan qui t rouve ici son unique station de reproduction en France et la plus méridionale en Europe. Son installation remonte à 1939 environ, et depuis cette date la colonie n’ a cessé de s ‘ accroître pour atteindre 3000 couples en 1970 . Nous ferons encore une mention spéciale pour le Fulmar dont Riouzig constitue le premier point d’ implantation en France : 1 couple en 1960 , 22 en 1970 .

Quant aux autres espèces, ce sont celles dont nous avons parlé à l ‘ occasion des autres réserves : le Pétrel tempête ( une cinquantaine de couples), le Cormoran huppé ( 250 couples), l ‘Huitrier pie ( près de 60 couples), le Goéland marin ( plus de 60 couples), le Goéland brun (450 couples), le Goéland argenté ( plus de 6000 couples ) , la Mouette t r idactyle ( 54 couples), le Pingouin ( une cinquantaine de couples), le Guillemot ( près de 100 couples) et la Sterne pierre- garin dont seulement 2 couples se reproduisent là. Il faut cependant remarquer qu’en 1913 , au moment de la création de la réserve, la diversité et l ‘ abondance des oiseaux étaient loin d’ être aussi grandes : i l n’ y avait alors ni Fulmars, ni Fous, ni Tadornes, ni Goélands marins et bruns, ni Mouettes t r idactyles, ni Pingouins . . . Quant au Cormoran huppé, au Goéland argenté et au Guillemot, i ls n’ étaient représentés à cette date que par 1 , 2 et 1 couples respectivement.
Bien entendu, i l ne saurait être question de mettre sur le compte de la mise en réserve la progression de certaines espèces comme le Fou, le Fulmar ou le Goéland marin : i l s ‘ agit là d’ extensions à l ‘ échelle

européenne. Il n’ en reste pas moins que la protection dont sont entourées les Sept- Iles et Riouzig en particulier a sans nul doute favorisé l ‘ implantation de ces nouveaux oiseaux et la progression numérique de tous les autres. La Réserve Albert Chappelier constitue aujourd’ hui un magnifique exemple de succès en matière de protection de la Nature.

3 - 2 - Paul- Emile Victor, 1972 :

Paul, Eugène Victor dit Paul- Émile Victor ou PEV, né le 28 juin 1907 à Genève et mort le 7 mars 1995 à Bora- Bora, est un explorateur polaire, scientifique, ethnologue, écrivain français, fondateur et patron des expéditions polaires françaises durant 29 ans.

Préface du récit du colonel Philippe Milon « la mort sur l ’ î le », 1972 : « L’ archipel des Sept- I les, dans la Manche, au large de Perros- Guirec, est devenu, grâce à la « Ligue française pour la Protection des Oiseaux » un sanctuaire où viennent nicher toutes les espèces d’ oiseaux de mer de la faune française ; l ’ î le Rouzic, surtout, au Nord de l ’ archipel est sans conteste le plus important l ieu de nidification sur nos côtes. On y voit la seule colonie de Fous de Bassan qui soit en France, la plus importante colonie de Macareux, et bien d’ autres merveilles. C’ est dire l ’ importance de ce sanctuaire pour la conservation de notre avifaune ».

3 - 3 - Colonel Philippe Milon, 1972 :

Il sort de l ‘ école spéciale militaire de Saint- Cyr et occupe le rôle d ‘ officier colonial en Afrique ( notamment Madagascar). Passionné depuis son jeune âge par les oiseaux, i l deviendra en 1962 , après ses t rente ans de service, président de la Ligue pour l a Protection des Oiseaux (LPO), conjointem ent au rôle de conservateur de la réserve ornithologique des Sept- Iles.

Extrait de : « la mort sur l ’ î le », édition Crépin- Leblond et Cie, 1972 : « L’ î le Rouzic, assez massive et assez élevée, couverte de végétation dense entre les rochers accrochés à ses pentes, à toujours mérité son nom « d’ I le- aux- oiseaux ». Une grande colonie de Macareux existait déjà sur Rouzic en 1820 et i l est très probable qu’ elle s’ y trouvait bien avant. Cette colonie qui comptait plusieurs dizaines de milliers d’ oiseaux, avait prospéré jusqu’ au début du 20 è siècle, quand elle commença à décliner, pillée par les chasseurs qui prenaient pour cibles ces oiseaux confiants, les tuant alors qu’ i ls regagnaient l ’ î le de leur vol bas pour nourrir leur petit, leur unique poussin dans son terrier, parmi les camomilles sauvages. La continuation de ces pratiques « sportives » aurait amené la disparition des Macareux de l ’ Ile Rouzic si la Ligue Française pour la Protection des Oiseaux n’ avait pas obtenu, en 1912 , la protection de l ’ î le, puis de l ’ archipel tout entier. Les Macareux reconstituèrent peu à peu leurs effectifs et l ’ on comptait, i l y a une trentaine d’ années, quelque cinq milles couples sur Rouzic. Les Sept- Iles, érigées en sanctuaire attirèrent vite d’ autres espèces, car le développement du tourisme et de la circulation automobile, la construction de villas, de routes en corniche, et bien d’ autres actions humaines enlèvent aux oiseaux de mer, sur le continent, la tranquillité nécessaire au déroulement de leurs amours et à la sécurité de leurs nids. »

« Les macareux ont autour de l ’ î le Rouzic, quatre l ieux de rassemblement sur l ’ eau ; c’ est en ces quatre points que se reposent, bercés par les vagues, les oiseaux qui ne couvent pas et qui ne sont pas allés pêcher en haute mer. Certains dorment, la tête tournée en arrière, le bec posé sur le dos ; d’ autres nagent côte à côte, se parlent, s’ embrassent. On les sent parfaitement heureux sur la mer ; c’ est là qu’ i ls se sentent vraiment en sûreté, bercés par la lente oscillation des vagues. Tous les oiseaux nichant dans une zone donnée se groupent sur la mer et forment au pied des falaises des rassemblements bien visibles. De mon point d’ observation sur la crête, je peux étudier à loisir le rassemblement d’ alcidés du Nord- Ouest qui est le plus important ; il s’ étend au- delà du gros rocher isolé qu’ on appelle le château. Jumelles aux yeux, j ’ observe longuement les oiseaux qui f lottent en groupe sur la mer, à moins d’ une encablure du rivage. »