Les côtes du Trégor par Jean-Jacques Monnier
La côte de granit rose fait partie d’un territoire maritime très découpé, les côtes du Trégor, entre les estuaires du Trieux et de la rivière de Morlaix. Des côtes extrêmement découpées avec peu de grandes étendues sableuses, une exception étant la lieue de grève, entre Saint Michel et Plestin (22).. Rappelons que le Trégor est un pays traditionnel de Bretagne qui s’est notamment traduit par l’existence d’un évêché, fixé à Tréguier aux premiers temps de la chrétienté.
Mais l’histoire remonte beaucoup plus loin. On sait que ces zones côtières étaient peuplées dès 120 000 avant Jésus-Christ et l’on a retrouvé en nombre des choppers et autres outils préhistoriques en pierre autour de l’embouchure du Trieux.
Les mégalithes sont nombreux : les cairns d’abord, souvent ruinés, sont des constructions de pîerres sèches et des sépultures collectives largement répandues sur le littoral atlantique mais dont le plus ancien (Barnenez en la commune de Plouézoc’h, dominant la rivière de Morlaix, date de –4500). Cette pratique et ces techniques ont été transportées par voie maritime et les autres cairns sont tous plus récents. La civilisation mégalithique connaît une origine précoce et brillante dans le Trégor avant de se diffuser ailleurs, d’où le nombre, encore aujourd’hui, de belles allées couvertes, souvent des prototypes de ce qui s’est fait ailleurs par la suite, en -3000 et -1500. Kerguntuil en Trégastel, l’île Grande, Trébeurden, l’île Millau en sont des exemples frappants, d’autres sont ruinés comme à Kerbors.
L’âge du bronze a également été une période de prospérité et les haches élaborées en Armorique se retrouvent des deux côtés de la Manche.
La prospérité la plus grande à eu lieu à l’époque celtique, c’est à dire au second âge du fer juste avant la conquête romaine où l’on construit des éperons barrés comme au Yaudet en Ploulec’h, avec un habitat côtier important, comme à Brest et à Alet (Saint-Servan-Saint Malo).
Après les reculs économiques et démographiques du début de l’époque romaine, vient le temps des migrations bretonnes qui sont très denses sur la côte du Trégor avec des migrants comme Maudez, Budoc, Fragan, Guénolé qui séjournent sur la côte du Trégor ou sur les îles, venant du Pays de Galles actuel et avant de se répandre dans toute la Bretagne-Armorique et bien au-delà. Ils organisent et christianisent.
Ces relations transmanches permanentes fait que des saints communs sont honorés des deux côtés de la Manche. La côte de granit rose, dans le territoire des Osismes, celtes armoricains, fait par la suite partie du royaume double de Domnonée, qui occupe, en gros, la moitié nord de la Bretagne. Le royaume unifié date du IXe siècle mais il doit faire face aux invasions vikings. Leur intégration dans le cadre de la Normandie en fait ensuite des alliés dans la conquête de l’ïle de Bretagne, à laquelle la noblesse de Bretagne nord participe de façon importante.
La fracture est double : la rupture de la chrétienté entre catholiques et protestants (qui réduit le culte commun des saints outremanche) et l’antagonisme franco-anglais qui augmente les périodes de guerre entre les deux côtés de la Manche, ce qui réduit les échanges quasi quotidiens auparavant. Lorsque les deux états-nations se renforcent, les constructions militaires s’accumulent sur les côtes et les îles bretonnes et le commerce décline, notamment à partir de la seconde partie du règne de Louis XIV.
Auparavant, le Trégor maritime bénéficie de la culture du lin, les graines venant des abords de la mer Baltique et la transformation se faisant en Bretagne (Uzel, Quintin, Loudéac) intérieure en passant par le marché de Lanvollon. Pour tout le Trégor, la fleur bleue est synonyme de prospérité. D’où le patrimoine bâti, civil et religieux, considérable.
La côte du Trégor n’est pas très favorable à la vie maritime, sauf à la petite pêche côtière. Exception faite des estuaires, de Morlaix à Pontrieux (et plus tard Lézardrieux) en passant par Lannion et Tréguier, où l’accès est plus facile ainsi que la profondeur d’eau.
Ces estuaires sont des zones de contacts. On y reçoit les tuiles britanniques, le charbon et on expédie les produits agricoles et les poteaux de mines vers le Pays de Galles. Ces échanges se poursuivent jusqu’aux années 1960. Le charbon permet de développer des petites centrales à gaz ou à électricité, comme à Lannion ou à Perros-Guirec.
Il manque au Trégor un port en eau profonde accessible à toutes heures. Il est réalisable à coût réduit à Tréguier et Lézardrieux et en aval de ces deux cités. Plus de 10 mètres de profondeur à marée basse : si ces côtes, riches en marins et officiers de marine, avaient pu participer aux décisions, l’activité portuaire des estuaires avait un grand avenir avec les économies d’énergie et de transports routiers.
Les secteurs côtiers à granit rose ont connu des développements inégaux, liés à la fin du XIXe siècle à la proximité du chemin de fer ou non. Le secteur de Perros-Trégastel-Trébeurden a pu connaître un bel essor touristique grâce à l’arrivée du train à Lannion en 1881. Par contre, le secteur de Plougrescant, plus éloigné, n’a pas connu le développement de stations, mais seulement un tourisme de villégiature. Entre le non développement et le surdéveloppement, on retrouve la même problématique autour de Plougasnou et de Primel Trégastel, où les activités touristiques ont stagné.
Les territoires côtiers comme ceux de l’intérieur bénéficient d’un patrimoine bâti et légendaire extrêmement riche, propre à être le support d’une découverte de l’histoire locale et d’une riche toponymie.
Cependant, ce littoral vieillit et se secondarise, les résidents à l’année étant de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés, et les résidents secondaires de plus en plus fortunés et distants, peu intégrés souvent à la vie locale.
Un phénomène qu’on a déjà connu depuis longtemps sur la côte d’Azur, avec exclusion de la population locale et des gens modeste, et dégradation des services et des activités faute de main d’oeuvre.
Le phénomène de l’arrivée des Télécoms à Lannion a permis de disposer d’un potentiel d’actifs jeunes et à pouvoir d’achat correct qui a permis de maintenir une vie permanente sur le littoral trégorrois, au moins à proximité du pôle lannionnais. L’évolution en cours –un pouvoir d’achat moindre chez les actifs et des prix en forte hausse en raison de la pression des résidents des mégapoles- soulèvent un défi urgent aux collectivités pour que le littoral du Trégor, et notamment la côte de granit rose, évitent la ségrégation sociale et la pression foncière et immobilière.
Des mesures spécifiques s’imposent sûrement, dans le court terme.
Jean-Jacques Monnier