Conserver ne plus extraire

9 avril 2025

Auteur Pierre-Henri Gouyon et François Léger

Extrait

Lectrice, lecteur, toi qui t’intéresses à la conservation de la Nature, comprends bien combien cet exercice est difficile dans notre cadre culturel. En effet, comme moi, comme nous, je parie que, toute petite, à l’école et/ou dans ta famille, tu as entendu parler d’Adam et Eve bien avant d’entendre parler de Darwin. Et encore, même si tu as entendu parler de la théorie de l’Evolution, il n’est pas facile d’en comprendre les implications sur ce qu’est vraiment la Nature.

Nos structures mentales, façonnées dans notre enfance, nous font rêver d’un monde ancien, parvenu jusqu’à nous pourvu d’un équilibre immuable. Notons qu’un tel monde à l’équilibre, immobile, n’a ni passé ni présent, et est dès lors d’autant plus « extravagant » et difficilement pensable. Il est, c’est tout, et nous est finalement radicalement étranger alors même qu’il nous est familier ! Ce monde, Karl Linné le décrivait ainsi en 1737 : « Toutes les espèces tiennent leur origine de leur souche, en première instance, de la main même du Créateur Tout-Puissant, car l’Auteur de la Nature, en créant les espèces, imposa à ses créatures une loi éternelle de reproduction et de multiplication dans les limites de leurs propres types ». Voilà ! Un paradis perdu éternel et immuable : figé. Voilà l’image. Alors ça se traduit par l’idée qu’il faut retourner à l’équilibre de la Nature, des écosystèmes, de la planète…

Mais quel équilibre ? Ce que nous savons de la vie sur terre, c’est justement qu’elle n’a jamais été à l’équilibre. L’évolution ne s’est jamais arrêtée et c’est cette évolution qui crée et détruit en permanence des individus, des populations et toutes sortes de lignées vivantes. Cette évolution qui crée donc une dynamique faite de mutations génétiques, de sélection naturelle, de compétition, de coopération, d’extinctions, de divergences entre lignées vivantes ; une dynamique qui a produit le monde que nous voyons et qui produit celui que nos successeurs verront. La nature n’a jamais été stable. Elle a produit et maintenu une diversité toujours mouvante. S’il faut une image, disons qu’il faut regarder la nature non comme une statue mais comme un vélo. Les deux peuvent se
maintenir et les deux peuvent tomber mais les mécanismes en œuvre sont très différents dans les deux cas. Autant pour éviter à la statue de tomber, il vaut mieux éviter qu’elle bouge, autant, pour le vélo, c’est au contraire le mouvement qui le maintiendra en équilibre. La biodiversité, comme le vélo, doit bouger pour se maintenir. Prétendre la sauver en la conservant immobile, c’est la condamner à la chute. Et ne parlons pas de ceux qui croient pouvoir la conserver au frigo.

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